Celle qui rit quand on.
Bernadette Soubiroute s'en allait sur la route, impétueuse et fringante, se rendant à son travail. Son lieu d'élection, voire de prédilection, était le domicile de Monsieur Burton, un anglais, de Londres.
Bernadette avait le patrimoine génétique un brin bousculé, Papa portugais, Maman écossaise. De son père elle tenait une pilosité luxuriante, également répartie entre son hémisphère nord et son hémisphère sud, qui l'obligeait mensuellement à rétrocéder à Mademoiselle Pilepoil, esthéticienne, une partie de ses émoluments. De sa mère elle avait hérité une conscience aigüe des vertues de l'épargne, qui lui donnait un bonheur de vivre sans commune mesure avec ces petits plaisirs triviaux, parfois même quadriviaux, que s'octroyaient ses copines, claquant leur fric dans des tubes de rouge à lèvres et des crayons à yeux, des vêtements déshabillant leurs corps de façon outrageante à la vue ( le papa de Bernadette lui avait transmis, non seulement beaucoup beaucoup de poils mais aussi une piété sans anicroche, une ferveur adorative pour Notre-Dame du Saint-Esprit, celle qui pleure quand on sourit).
Ce n'était certes pas le genre de Bernadette qui depuis la pré-puberté avait pris l'habitude, mais fût ce un choix ou une obligation conjoncturelle, nous ne le saurons jamais, de porter vêtements longs jusqu'aux chevilles zé aux poignets zé au menton, histoire de dissimuler ce que d'aucuns eussent pu prendre pour l'émanation sordide et révoltante d'une virilité non appropriée à cette massive, rustaude mais néanmoins jeune, fille. Ainsi que le proclamait toujours son papa : ne mélangeons pas les torchons et les serviettes et les vaches seront bien gardées.
C'est ainsi que naquit la vocation ancillaire de Bernadette. C'est ainsi qu'elle se rendit quotidiennement chez Mr Burton, de Londres, établi dans la campagne française ( en anglais : french campagnol ) à fin de profiter du change avantageux livre/euro. Bernadette, chez Burton, faisait le ménache, le lavache et le repassache. Elle s'acquittait de sa tache consciencieusement, apportant à son ouvrage ces petits perfectionnements que seul le libre consentement permet d'imaginer.
C'est ainsi que Burton la surprit un jour, à quatre pattes dans la baignoire, nue, rouge et transpirante, une brosse à dents dans la main droite. Burton, qu'un rendez-vous annulé avait restitué plus tôt que prévu à son domicile ( il était agent immobilier, c'était la crise ), embrassa le tableau d'un seul coup d'un seul et eut la Révélation. Il faut préciser, à ce stade, que par souci d'économie Bernadette avait sauté deux rendez-vous mensuels chez Mademoiselle Pilepoil. Burton eut ainsi la vision d'un être féminin, velu au-delà du possible ( et pourtant ), couvert d'une épaisse toison noire du cou jusqu'aux chevilles, ahanant à quatre pattes dans sa baignoire tout en effectuant de la main droite un mouvement de rotation en poussant de petits gémissements.
Burton sentit son coeur se crisper et son slip kangourou chercher les limites de son absence de stretch. Après quelques secondes d'atermoiement, il sauta le pas. Enjambant la baignoire, tout habillé ( il avait tout de suite réalisé qu'il ne pouvait réaliser avec la luxuriance de la pilosité de Bernadette, mettant ainsi en danger gravement son estime de soi, sa virilité, quoi ), il s'accroupit derrière la bête humaine qui astiquait frénétiquement le siphon au moyen d'une brosse à dents aidée par un peu d'ajax, et baissant la tête, il.
Bernadette, à qui un accouchement long et difficile avait valu un cerveau légèrement lésionné dû au manque d'oxygène, coincée longitudinalement dans la baignoire, la main droite dans le siphon, la main gauche en appui, déséquilibrée pour tout dire par l'occupation de sa partie postérieure, hésita un instant entre les larmes et le découragement. Puis la lumière se fit dans son esprit, elle se rappella cette maxime de sa maman bien-aimée, paix à son âme : dans l'adversité, le rire est le propre de l'homme, mais aussi et surtout le propre de la femme ( sa maman bien-aimée, paix à son âme, s'était laissée embrigader par les chiennes de garde, mal lui en prit, le portugais divorça, elle en mourrut ).
C'est ainsi que Bernadette Soubiroute, un jour d'Août, la main droite fourrageant le siphon, les poils de son corps collés les uns aux autres en une masse noire et luisante, pendant qu'un anglais au bord de la faillite lui prodiguait les premiers sacrements, apprit à rire et ne s'arrêta plus.